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CLINIQUE JURIDIQUE et MANAGERIALE "LM" ( Dr. Oswald KPENGLA-S. )

ECHANGES PLURIDISCIPLINAIRES

LE JUGE, VIVANT ORACLE DU DROIT

Publié le 3 Octobre 2013 par Dr Oswald KPENGLA-S in RAISONNEMENT JURIDIQUE

QU’EST-CE QUE JUGER?
Quand un juge décide, il fait œuvre de « jurisprudence », un concept très vaste en théorie, qui va de l’application stricte de la loi jusqu’à l’interprétation des nécessités sociales, en passant par l’imitation de ce que d’autres juges auront décidé antérieurement pour des faits analogues. Il puise dans ce faisceau pour interpréter la cause qui lui est soumise, charge qui fait de lui, comme le disait au XVIIIème siècle William BLACKSTONE, « le vivant oracle du droit ».

- Il s’acquitte de la tâche d’abord selon la raison ou, si l’on préfère, la logique rationnelle. C’est parce que tout système juridique se présente comme cohérent et rationnel que le jugement de droit cherche dans la logique le premier de ses guides. Cette notion floue qu’on appelle équité procède du principe logique qui veut que des mêmes faits soient jugés de même manière. C’est l’illogisme de classe que sanctionne La Fontaine quand il écrit : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». La vertu sociale qui s’attache le plus nettement à l’inspiration logique du jugement est sa prévisibilité. Si le droit est rationnel, et que le juge suit le droit, le jugement sera prévisible : on ne va pas en justice comme on jour à la roulette. Mais cette prévisibilité est contrebalancée par le caractère inattendu, toujours singulier, des situations en cause. La répétition massive de mêmes décisions pour de mêmes litiges (en matière de divorce par consentement mutuel par exemple) peut faire penser à une justice automatique, dans laquelle l’interprétation du juge pourrait être remplacée par le logiciel approprié. Or le justiciable exige que la spécificité de son cas soit prise en compte. Et cette subjectivité-là, c’est à l’ensemble des facettes sensibles de l’esprit du juge qu’elle fait appel.

- Vient ensuite le précédent ou, comme le disait le philosophe Jeremy BENTHAM, l’amour qu’ont les juges pour cette postérité engendrée par eux. La règle du précédent prévaut dans le système britannique et plus largement dans le droit anglo-américain. Elle veut que le juge qui décide d’un cas recherche la dernière décision pertinente prise par l’un de ses pairs pour un cas semblable. C’est de la dissemblance relative de son affaire à lui qu’il tirera sa marge de liberté et d’interprétation. Le précédent exprime techniquement l’une des propriétés majeures du droit et des institutions. Le droit conserve la société, mais comme la société change, il en assume les changements tout en faisant comme si le changement n’était que répétition.

C’est ainsi une propriété paradoxale du juridique : par lui l’ancien vaut mieux que le nouveau qui n’en apparaît que comme l’imitation. Ainsi, dans une affaire de divorce, c’est en référence aux jurisconsultes romains que, de nos jours, une cour américaine pourra justifier le maintien des droits successoraux de la première épouse lorsqu’un défunt aura voulu léguer par testament tous ses biens à la seconde. L’enchaînement des jugements propose de la sorte l’image d’une société dont les fondements, pérennes, sont rituellement rappelés par la voix des juges.

- Enfin, écrivait ARISTOTE, « la justice est un juste milieu si du moins le juge en est un ». La personne que la société place en position de juger ne cesse pas d’être un individu dès lors qu’il endosse les attributs de la fonction. Et pour entrevoir ce que sera la décision, il peut être parfois plus sûr de se demander ce que le juge a mangé au déjeuner, et si sa digestion altère son humeur, que de se plonger dans les lois et dans les précédents.

Les révolutionnaires français voulaient que le juge ne soit que « la bouche de la loi », pour conjurer l’arbitraire personnel et la justice de caste en vigueur sous la monarchie. Aucun système judiciaire, même le plus soucieux d’équité, ne peut éliminer totalement la part subjective du jugement. Les rumeurs des palais de justice connaissent les juges « répressifs » que les avocats de la défense tentent d’éviter. Les juges qui interviennent sur des mineurs exercent, de fait, une fonction parentale pour laquelle ils peuvent être influencés par leur propre histoire.

L’idéal abstrait d’une justice aveugle et équitable est ainsi contredit, au quotidien, par la psychologie, les humeurs, les orientations idéologiques, les positions sociales et les imprégnations culturelles de ceux qui jugent. Dans le système français, où les juges sont professionnalisés très jeunes par le biais d’une école spéciale d’application (l’Ecole nationale de la magistrature), et où l’intégration dans un « corps » fondé sur la compétence fait vœu de gommer les contingences individuelles, un juge ne saurait être influencé par son environnement social. Qu’un haut magistrat ayant à connaître d’infractions réputées commises par des responsables politiques soit reconnu lié politiquement à ces mêmes personnes, et aussitôt nous avons « une affaire ». Dans la République abstraite, les juges sont censés exemptés des contingences communes, être moins un « corps » qu’un simple organe, l’organe vocal de la loi. Tout à l’inverse, les Etats-Unis, qui élisent la plupart de leurs juges, les désignent en fonction même de la clarté de leurs opinions politiques, de leur vision personnelle du « juste milieu ».

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